Avis d'expert
La transformation data, une chance pour les cabinets et leurs clients
Comment avez-vous vu évoluer la pratique de la profession sur la data ?
Pourquoi la data est-elle devenue si cruciale pour les cabinets d'experts comptables ?
La data a toujours été cruciale. Ce qui révolutionne la profession, c'est avant tout une rupture technologique. D'un côté, l'accès à des outils BI (NDLR : Business Intelligence) moins cher permet la démocratisation de la data. De l'autre côté, la collecte de données va être grandement facilitée et accélérée par la facture électronique. Or nos clients, majoritairement des TPE et PME, ont ce double besoin : des données plus rapidement, voire en temps réel, et des outils pour y accéder. Mais ces clients n'ont pas les moyens pour créer ces outils.
La profession, quant à elle, à toujours tenu ce rôle de copilote sur la prise de décision notamment en accompagnant nos clients sur la connaissance et l'analyse de leurs données. Elle a donc un rôle à jouer sur cette partie en amenant des outils pour qu'ils puissent connaitre leurs données et prendre des décisions en temps réel. Que la profession amène ces outils permet également de partager les mêmes indicateurs, d'avoir une base de travail commune. Et c'est essentiel car jusque-là nous avions des indicateurs basiques, mais demain, avec l'ouverture de la data nous allons pouvoir prendre en compte beaucoup plus d'indicateurs. Si ces indicateurs ne sont pas harmonisés c'est donc un risque et une surcharge de travail.
Comment la data transforme-t-elle la manière dont les cabinets interagissent avec leurs clients ?
Il y a un vrai enjeu sur la transformation des équipes internes pour être en phase avec cette nouvelle ère de la data. Nos clients vont attendre des experts mais aussi des collaborateurs, qu'ils parlent le même langage : évolution de la trésorerie, du délai de règlement client, analyse de la saisonnalité du CA... Or aujourd'hui nous sommes très ancrés dans la partie compta et fiscale. Demain, nos clients vont attendre de l'expertise sur d'autres éléments, d'autres KPI.
Par exemple, nous avons défini des KPI pour analyser des évolutions de masse salariale, de turnover... demain nos collaborateurs devront être capables de parler de ces indicateurs. C'est un vrai enjeu car aujourd'hui nos collaborateurs sont formés sur la partie réglementaire de notre métier. Sur cet aspect compétences il y a en fait deux sujets parallèles. Le premier c'est bien sûr de former et accompagner nos équipes à cette transformation. Le deuxième sujet c'est de renforcer les équipes avec de nouveaux profils type data analysts. En effet dans un premier temps, nos clients auront besoin d'un standard. Mais une fois qu'ils se seront approprié ces sujets, il faudra aller plus loin, et donc avoir la capacité de les accompagner.
Comment la data renforce-t-elle la relation entre les cabinets d'experts comptables et leurs clients ?
La data a toujours été un ciment de la relation avec le client : en connaissant mieux son activité, nous l'aidions à la faire croitre. Aujourd'hui la grosse différence c'est que là où nous apportions une vision datée, la facture électronique, va apporter une vision temporelle plus fine. Nous allons pouvoir éprouver la saisonnalité, les évolutions de trésorerie, définir des coefficients de corrélation et confronter ces éléments à des données externes grâce à l'open data. Ce faisant nous ouvrons la voie à des analyses prédictives.
Quels avantages un cabinet peut-il tirer de la transformation data en termes de services proposés à ses clients ?
Nous sommes une profession assez méconnue. Notre profession ce n'est pas que produire des bilans et des éléments de compte de résultats pour l'administration fiscale. La profession a énormément de corps de métier internes pour conseiller. Nous grandissons en faisant grandir nos clients. Or la transformation data est un support pour la croissance du cabinet et de ses clients.
La data en interne c'est par exemple un focus fort sur nos missions : suivi de la rentabilité grâce à la facturation et la gestion des temps, mais également suivi de l'évolution des missions.
Pour nos clients, tout l'enjeux de la data est de contribuer à les faire grandir via des conseils plus éclairés. Par exemple, nous avons mis en place des tableaux de bords sur l'analyse de leur gestion commerciale. Nous partageons ainsi le même regard sur la même temporalité. En effet, le pire quand on arrive chez le client c'est de présenter un beau bilan qui se révèle complètement daté par rapport à la situation des 3 derniers mois que le dirigeant a en tête. Nous avons bien trop souvent deux visions, avec des indicateurs propres et parfois un mur entre les deux. En mettant à disposition des rapports basés non seulement sur la facturation et le CA, mais également sur la gestion commerciale, nous obtenons une vision prospective sur les 4/5 prochains mois. Le regard est complètement différent : de qu'est-ce qu'il s'est passé à qu'est-ce qu'il va se passer. Demain on fera également évoluer notre offre en proposant de nouveaux services avec une nouvelle chaine de valeur basée sur les données.
Rupture technologique car on doit s'approprier de nouveaux outils. Rupture de compétences car nous passons de logiciel bien connu à une feuille blanche sur laquelle nous devons choisir quels indicateurs, quelles bases employer. Bien sûr il y a également toute la partie RH : comment allons-nous arriver à transformer nos collaborateurs dans ces nouveaux horizons.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la manière dont la data a amélioré les opérations de votre cabinet ou les services offerts ?
Nous avons choisi d'orienter la data au service de nos clients. Nous avons 3 principales bases de données dans le cabinet (comptable, sociale et gestion commerciale pour les factures, devis & bon de commande). Notre objectif était d'en tirer de la valeur au service des clients. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur des Data Analyst en alternance. On a travaillé avec eux sur des définitions de reportings, de KPI et ça nous a permis de créer des maquettes d'éléments data que nous souhaitons reporter à nos clients. Les retours sur ce premier jet étaient très prometteurs. Néanmoins si nous industrialisions ces reportings la partie infrastructure allait devoir être construite en conséquence et nous ne souhaitions pas devenir une société d'expertise data. C'est pourquoi nous externalisons cette partie.
Quels sont les défis les plus courants auxquels sont confrontés les cabinets lorsqu'ils entreprennent une transformation data ?
Il faut bien distinguer deux thématiques par rapport à ces évolutions profondes que traverse le secteur. La thématique des collaborateurs et celle plus globale que génère la gouvernance spécifique des cabinets.
Pour les collaborateurs, c'est à la fois un moment enthousiasmant et inquiétant. Enthousiasmant car le métier va bénéficier de nombreuses transformations et évolutions ce qui le rendra encore plus intéressant. Inquiétant car certaines de ces évolutions, comme la facturation électronique par exemple, peuvent donner l'impression que le métier va s'automatiser trop fortement. Même si nos collaborateurs ont confiance dans leurs compétences, ils ont du mal à voir ce que sera leur métier à l'ère de la facture électronique et de la data. C'est donc à nous de leur donner un horizon.
La seconde thématique vient malheureusement complexifier la définition de cet horizon. En effet, il peut être assez difficile de faire émerger une vision commune du cabinet sur l'orientation à donner. J'image souvent ce propos en comparant la gouvernance des cabinets à celle d'une clinique. Les associés sont à l'image des médecins qui ont une expertise très forte sur leur domaine médicale mais sont également des chefs d'entreprise le soir et doivent s'accorder avec les autres médecins de la clinique. Définir un horizon qui englobe la data et la facture électronique est donc une vraie difficulté.
Comment la data peut-elle contribuer à façonner la stratégie d'entreprise d'un cabinet d'experts comptables ?
Il y a quelque temps, nous avons analysé les entreprises qui ont su se transformer après avoir été confrontées à des évolutions très impactantes, voire une concurrence accrue. Et ce que nous avons identifié comme facteur clés de succès c'est la capacité à améliorer sa chaine de valeur. Nous avons donc cherché à reproduire cela en créant de nouveaux services à forte valeur ajoutée et en améliorant nos capacités de conseils. Or la data est le moyen qui nous permettra d'améliorer notre chaine de valeur. C’est le support du conseil et de nouveaux services. Elle doit donc être au cœur de la stratégie des cabinets. Elle va progressivement devenir essentiel : on ne pourra plus conseiller le client sans support data.
Par exemple, nous avons identifié une évolution sur une convention collective. En croisant nos données avec celles disponibles en open data; nous avons pu identifier nos clients qui allaient être impactés et ainsi agir de manière pro active. Demain, la data nous permettra d'aller encore plus loin.
À quoi ressemblera la transformation data pour les cabinets d'experts comptables dans les années à venir ?
Les données doivent venir soutenir le conseil. Et pourquoi pas avec des conseils automatiques, c’est-à-dire des Dashboard mis à disposition par défaut, que les clients peuvent consulter puis solliciter le cabinet lorsque des éléments doivent être éclaircis. Il faut rendre la data visible pour les clients. Cela serait un vrai plus. On pourrait même rentrer dans une logique d’itération pour revoir ensemble les informations selon les besoins du client. Bien sur tous les clients ne s’approprieront ces outils pas de la même manière : certains vont consulter une fois l’an ces rapports, d’autres plusieurs fois par mois. Mais il faut mettre à disposition, identifier les clients qui en tirent profit et surtout ne pas hésiter à présenter ces chiffres, ne pas craindre des chiffres qui peuvent être mauvais ou pas forcément propres. Même si des clients sont mécontents cela ouvre la porte pour des discussions. Et pour les autres c’est un vrai plus d’avoir ces analyses.
Quels conseils donneriez-vous aux cabinets qui commencent leur parcours de transformation data ?
Le défi c'est vraiment l'aspect transverse, globale de la donnée. Par exemple, si aujourd'hui on décide de créer une nouvelle mission, on choisit un leader, on bâti une équipe, éventuellement on achète une société mais c'est un projet qui reste localisé, qui ne concerne que certaines parties du cabinet ; Or la data c'est un projet global. Il faut arriver à embarquer tout le monde sur le bateau et l'emmener vers cette nouvelle stratégie. C'est évidemment très difficile, notamment avec cette organisation clinicienne que j'ai décrite. Il faut donc définir une stratégie globale, adaptée par tout le top management et permettant d'établir un horizon partageable au cabinet. Cette stratégie doit anticiper et préparer la gestion du changement. La gestion du changement c'est une organisation avec des utilisateurs clés qui servent de caisse de résonnance, de référents pour le projet. Mais c'est aussi bien sur un plan pour faire évoluer les compétences, notamment via des formations. Or la formation c'est du temps qu'il est difficile de caler dans les agendas déjà bien chargé des collaborateurs. On ne peut pas non plus arrêter le métier traditionnel.
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